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Quelque part en Australie, peut-être à l’opéra de Sydney, un premier violon livre une sonate mémorable, glissant sur les cordes de son stradivarius le crin colophané d’un archet de Bédoin. De l’amourette mouchetée ou du pernambouc, un peu d’or et d’ivoire fossile, beaucoup de minutie et de précision, c’est le noble quotidien de Solange Chivas passée maître dans la fabrication d’archet.

Qu’est-ce que le métier d’archetière ?

« L’archetier fabrique l’archet qui va avec la famille des instruments du quatuor : violon, alto, violoncelle, contrebasse. Et aussi la famille des violes de gambe car je suis spécialisée dans la musique ancienne. Je fais un petit peu des archets du Moyen Âge, mais surtout XVIe, XVIIe siècles, jusqu’au milieu XVIIIe. À l’époque, on n’utilisait pas les mêmes essences de bois, la forme de l’archet était différente. L’évolution musicale a engendré celle de l’archet. L’archetier moderne peut être dans la construction, dans la réparation et l’entretien de l’archet. Le crin qui permet de frotter les cordes s’use, on doit le changer régulièrement. »

Quelles sont les différentes parties d’un archet ?

« L’archet se compose d’une baguette, d’une hausse, d’une vis écrou pour les archets modernes, d’un taquet et de crins de cheval. Le poids et la longueur varie selon les instruments. Même pour un violoncelle, il y a des longueurs différentes selon le pratiquant et la taille de l’instrument. Pour les enfants, les archets sont plus courts. Chaque fabriquant à sa recette. Selon les qualités, les matériaux sont plus ou moins nobles. De l’or, du maillechort (alliage de cuivre, nickel et zinc), de l’os, de l’ivoire, de l’ébène, du pernambouc, de l’acacia de Guyane, de l’amourette, du cormier. »

C’est toujours du crin de cheval ?

« Oui, il y a du blanc, du noir et du gris. Son prix est proportionnel à la longueur car il est difficile d’obtenir une bonne longueur. Ce qu’il faut savoir concernant le crin, c’est que tout seul il n’accroche pas à la corde. Si on regarde au microscope, il présente pleins de petites dents. C’est grâce à la colophane qu’il y a adhérence. La colophane est une résine de pin avec un mélange de poix. »

Les essences de bois employées sont toujours exotiques ?

« Les archets de concert sont en pernambouc. Maintenant le gros problème est la ressource. L’essence est passée dans les espèces protégées par la Convention de Washington. On peut difficilement s’en procurer. Il va falloir trouver d’autres essences. On a aussi utilisé au Moyen Âge et jusqu’au XVIe siècle des bois européens comme le charme, le houx, le hêtre. Des bois durs et légers et qui ont une certaine dynamique, un peu comme en archerie. On a préféré ensuite des bois exotiques plus denses, ce qui permet d’affiner les baguettes. »

C’est toujours du bois qui est utilisé ?

« Il y a eu des essais avec le carbone. Les résultats sont intéressants mais le problème est le son. On arrive à reproduire la dynamique mais au niveau du timbre et de la richesse de la sonorité, cela ne marche pas. L’archet est un outil très important, c’est lui qui donne le son à l’instrument. C’est vraiment une symbiose. On trouve aussi des archets en bambou. Il y a un spécimen au musée de Vienne qui date de 1620. »

Pour le fabriquer, vous partez d’un modèle ?

« Je reproduis à partir de pièces de musée ou de pièces originales détenues par des musiciens. Je m’adapte aussi au bois au fur et à mesure du travail qui s’effectue essentiellement avec des rabots de taille différentes. C’est une question d’épaisseur. On part d’une baguette carrée dont on découpe la forme. Du carré, on passe à l’octogone et on amincit progressivement. Ensuite, c’est beaucoup d’ajustage. Avec l’évolution du jeu, l’archet est devenu très convexe parce qu’on l’a rallongé pour pouvoir jouer les sonates par exemple. Le galbe est donné en chauffant le bois. Le temps passé à la fabrication d’un archet dépend du bois et du modèle, plus ou moins travaillé. Il faut à peu près une semaine pour un archet un peu travaillé avec des cannelures. J’en fabrique une cinquantaine par an. »

Vous fabriquez vos archets sur mesure selon des modèles ?

« Selon les instruments et les époques, j’ai des modèles qui fonctionnent bien. Mais pour l’archèterie ancienne nous n’avons plus beaucoup d’originaux. Il faut trouver de l’iconographie dans les livres, les tableaux. Ensuite, selon les exigences du musicien, je peux faire les choses différemment. Pour lui, l’important est l’équilibre dans la main et le poids. »

Comment devient-on archetière ?

« Il n’y a pas d’école en France. Il y en avait une à Mirecourt (Vosges) où sont formés les luthiers. Mais voici quelques années, la profession n’en a plus voulu. Les archetiers se forment directement chez ceux qui sont en place. Moi, j’ai commencé par la lutherie dans un atelier à Montpellier. Ce luthier faisait aussi des archets modernes. J’étais partie pour me spécialiser dans la musique ancienne et j’ai rencontré une archetière qui l’était. Je suis restée cinq ans dans son atelier. Au départ, j’ai fait les Beaux Arts et j’ai commencé la musique assez tardivement. J’anime un stage d’archèterie dans le cadre d’une académie locale du Jura. Souvent, ce sont des musiciens qui s’inscrivent ou des ébénistes qui veulent se reconvertir. On réalise un archet à hausse coincé en une semaine. » 

Qui sont vos clients ?

« Le monde de la musique ancienne en France n’est pas assez développé. Il faut aller voir au-delà des frontières. Là, je viens d’envoyer des archets en Australie. Mes clients sont des conservatoires, des musiciens professionnels et amateurs. Après, c’est le bouche à oreille. Il y a la concurrence des archets fabriqués industriellement. Mais les prix et la qualité ne sont pas les mêmes. » 

Qu’est-ce qui vous plaît dans ce métier ?

« Il y a une grande diversité de forme pour un même instrument dans la musique ancienne. Il n’y a pas de standard. Rien n’est figé. Tandis qu’en archèterie moderne, les choses sont beaucoup plus codifiées. Il faut tel poids, tel équilibre. Je fais quelques salons, quelques académies et je suis membre d’une association qui s’appelle l’UNFI (Union nationale de la facture instrumentale) qui nous permet de créer une dynamique, des échanges avec tous les facteurs d’instruments, ce n’est pas limité au violon ou à la guitare. On se retrouve dans les salons, on voit le travail des uns et des autres. »