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Fille d'agriculteurs, elle se dit terrienne avant tout. Très investie dans son métier, plus souvent sur le terrain que dans son bureau, au boulot qu'à la maison, elle nous a ouvert les portes de l'exploitation agricole du Campus Provence Ventoux qu'elle dirige depuis sept ans, pour une visite et une interview grandeur nature.

Comment devient-on directrice d’exploitation d’un lycée agricole ?

« Je suis un pur produit agricole : petite-fille et fille d’agriculteurs et d’entrepreneurs de travaux agricoles de Bédarrides. Après des études au lycée agricole François Pétrarque d’Avignon, j’ai obtenu un BTS viticulture-œnologie, puis une licence pro des sciences de la vigne à Dijon. Je voulais être enseignante. J’ai postulé au lycée viticole d’Orange pour un remplacement de trois semaines pour enseigner l’économie familiale et sociale, et la biologie animale et végétale. J’y suis restée vingt ans. J’avais plusieurs casquettes, à la fois professeur principal et coordonnatrice pédagogique. En 2012, j’ai passé un concours au ministère de l’Agriculture pour accéder à la direction d’une exploitation. Et en 2014, le poste du lycée agricole de Serres s’est libéré. J’ai postulé et j’ai été retenue. »

Quelle est la vocation de cette structure ?

« Tous les lycées agricoles ont un atelier pédagogique ou une exploitation agricole. La nôtre a cinq missions : produire ; accueillir, former et insérer nos apprenants dans le milieu professionnel ; expérimenter et développer des techniques innovantes ; être acteurs de l’animation sur le territoire ; développer des coopérations et partager nos expériences avec l’étranger. Je le fais avec la Suisse depuis plus de vingt ans sur la vigne et l’arboriculture. »

Quelles sont ses caractéristiques ?

« Les quarante hectares de l’exploitation sont tous en certification Haute Valeur Environnementale depuis novembre 2018. Ils s’étendent sur deux kilomètres en direction d’Aubignan. Le canal de Carpentras nous permet d’avoir une exploitation irrigable à 100%, et la Mède nous apporte la richesse de sa ripisylve. La biodiversité est très riche avec plus de trois kilomètres de haies, des hôtels à insectes, des nichoirs à mésanges et des clapiers. L’exploitation est d’ailleurs labellisée Observatoire Agricole de la Biodiversité. On pratique aussi le recyclage et sa promotion auprès des jeunes. »

Qu’est-ce que la certification Haute Valeur Environnementale ?

« Elle prend en compte l’eau, l’air, le sol, les prairies, les méthodes alternatives. La chambre d’agriculture nous a accompagné dans la démarche puis s’est un organisme certificateur national qui a réalisé l’audit sur les quatre thèmes choisis : les produits phytosanitaires ; les fertilisants ; la biodiversité ; et l’eau d’irrigation. »

Quelle est l’origine du domaine ?

« Le comte Victor de Sobirats, qui habitait la plus grande bâtisse du domaine, a légué la totalité de ses propriétés en 1956 aux communes alentour. La ville de Carpentras a hérité de deux cents hectares sous trois conditions : qu’une école ménagère soit créée à Serres, notamment pour l’éducation des filles de ses cinq fermiers ; que les locataires des bâtiments légués soient d’origine carpentrassienne ; et que des ateliers accueillent des enfants et des adultes en difficulté ou handicapés. C’est pourquoi il y a un établissement spécialisé à Serres. Et c’est en 1970 que le lycée agricole a ouvert ses portes comme école d’agriculture et école ménagère. »

Que cultivez-vous ?

« On récolte pratiquement neuf mois de l’année. Il y a la période des cerises de mi-mai à mi-juin. Mi-août, on recommence avec le raisin de table. Fin août et jusqu’à fin novembre, c’est la pomme, et en septembre, la vigne de cuve. Début janvier, on commence les récoltes de bois pour les pépiniéristes jusqu’à fin mars. »

Combien de personnes travaillent-elles sur l’exploitation ?

« J’ai trois salariés permanents à temps complet qui s’occupent de la production arboricole et viticole. Une personne à mi-temps est chargée des expérimentations puisqu’on a de nombreux projets avec des partenaires du Comtat Venaissin et de la Région, notamment un projet de parcelle de cerisiers sous panneaux agrivoltaïques mobiles. Et une salariée à temps complet s’occupe de la boutique. Les récoltes sont réalisées par les élèves du lycée et des saisonniers. Depuis deux ans, j’ouvre aussi les vergers aux particuliers pour des cueillettes de cerises, de pommes et de raisin de table. »

Quels sont vos débouchés ?

« Notre boutique de producteurs en circuit court que j’ai développée avec l’aide des partenaires et de ma direction et qui compte aujourd’hui cinquante et un producteurs locaux avec qui nous avons des affinités. On y vend notre jus de pommes Granny Smith issu de l’agriculture biologique, notre nectar de cerise, notre jus de raisin, nos pois chiches et nos confitures de cerise fabriquées par l’artisan la Ruchofruit de Bédoin. On travaille aussi avec la SICA du Val de Nesque, avec Ficafruits pour les pommes et avec la cave Rhonéa à Beaumes-de-Venise pour la vinification. On livre aussi les collectivités via la plateforme internet Agrilocal 84. On vit dans une très belle région. Le sens du partage et les relations humaines y sont très forts. »

Qu’apprend-on sur l’exploitation ?

« Selon les publics, on apporte l’acquisition de gestes professionnels et on complète les cours théoriques sur les thèmes de l’eau, de l’air et du sol. Nous recevons des élèves du lycée Louis Giraud, des apprentis, des adultes en reconversion professionnelle ou en recherche d’emploi. Des jeunes de seconde générale viennent aussi ici en quête d’orientation pour découvrir le monde agricole. Tout au long de l’année scolaire, les élèves sont présents sur l’exploitation pour les récoltes, la taille, les travaux paysagers, la mise en place de l’irrigation, la plantation, ou pour apprendre à conduire les tracteurs avec des outils attelés, voire construire des hôtels à insectes. »

Quels sont vos projets ?

« Des panneaux agrivoltaïques vont être installés sur un hectare et demi de cerisiers à l’automne 2022. C’est un partenariat avec la CoVe dans le cadre du Contrat de Transition Écologique. Les panneaux s’inclineront selon les besoins des arbres pour leur faire de l’ombre ou les protéger du froid. Le système est expérimenté par la chambre d’agriculture sur vigne de cuve à Piolenc, mais aussi sur abricotiers et pommiers. Pas encore sur cerisiers. Le deuxième gros projet est la restructuration de la vigne de cuve avec la mise en place d’une parcelle en vitiforesterie où vont être associés les arbres, les arbustes et la vigne. On a aussi un projet de gestion de l’eau avec l’Agence de l’eau et l’ademe pour piloter l’irrigation par sondes capacitives et nous adapter au changement climatique très marqué. Le quatrième projet porte sur la couverture végétale de toutes les parcelles. Un mélange de légumineuses et de graminées sera semé à l’automne pour préserver le sol de l’érosion, maintenir l’humidité et apporter de l’air par les racines. »

Qu’est-ce qui vous passionne dans ce métier ?

« Le terrain ! C’est quelque chose de riche et de concret. Je suis une terrienne avant tout. Après, il y a toutes les relations humaines et le contact avec les acteurs du territoire. Le piège de ces métiers-là, c’est qu’on vit l’exploitation comme si c’était la nôtre. On s’implique beaucoup, au détriment de la vie de famille. Mes enfants me disent : on n’a plus de maman! »