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Une visite qui a marqué les esprits : Ginette Kolinka

Ginette Kolinka, 97 ans, est une survivante du camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau et passeuse de mémoire de la Shoah. Elle s'est rendue à Carpentras le 14 mars dernier pour un précieux témoignage devant des collégiens qui ne l'oublieront pas de si tôt. Nous avons décidé de vous retranscrire son récit pour que jamais ne se perde son histoire dans l'Histoire.

Une introduction des plus marquantes

Le silence règne lorsque Ginette Kolinka commence à s'adresser aux 4 classes de 3ème du collège François Raspail. Dès le début elle présente aux adolescents deux photos. L'une, c'est son frère de 10 ans et l'autre, son neveu de 14 ans. Elle demande aux collégiens : "Regardez-moi bien et ces photos que je vous montre, est-ce que ce sont des gens normaux ?" La réponse est évidemment affirmative. "Pour vous, nous sommes normaux, mais pas pour les nazis, nous ne sommes pas normaux parce que nous sommes juifs."

Elle explique ensuite que fin décembre 1942, les juifs sont recensés dans les commissariats, la mention "juif" est apposée sur leur carte d'identité et ils sont obligés de porter une étoile jaune bordée de noir sur leurs vêtements. C'est à ce moment que toute la famille est partie séparément pour s'installer à Avignon, après un périple rendu possible grâce à de faux papiers et l'aide de passeurs. Jusqu'en mars 1944 ils travaillent sur les marchés des remparts de la ville, toujours grâce à ces fausses identités.

Une vie bousculée

C'est à ce moment que sa famille est dénoncée à la Gestapo. La Milice vient arrêter son père, son frère de 12 ans, son neveu de 14 ans et Ginette. Ils nient tous être juifs mais on oblige les hommes à baisser leurs pantalons et leurs circoncisions les condamnent. Ensemble, ils passent par une prison à Marseille, puis Drancy et Bobigny pour arriver finalement à Birkenau. Son père et son frère, affaiblis, sont gazés immédiatement...Ensuite tout va très vite, elle doit se déshabiller entièrement. "Pour moi, c'est ça le plus dur à ce moment-là. J'ai tellement honte. C'est pire que tout le reste. Je cache mon sexe avec une main, mes seins avec l'autre." Dans la foulée, on vous rase entièrement, plus de cheveux, plus de poils." Les gens pensent toujours qu'on portait des pyjamas rayés. Mais c'était trop bien pour les Juifs, on n'y avait pas droit, il n'y avait que les déportés politiques qui portaient ça. On porte ce que les juifs ont apporté avec eux. On nous tatoue. J'ai le matricule 78599. Et puis, on nous propose enfin d'aller aux toilettes. Ça fait des jours qu'on n'a pas pu y aller. On se réjouit presque, on se dit qu'on va pouvoir disposer d'un lieu isolé. Au lieu de cela, on nous emmène dans une baraque dont le sol est percé de trous. Des femmes sont là, alignées, à faire leurs besoins côte à côte, dos à dos. C'est le comble de la haine pour moi, de nous faire vivre des humiliations pareilles." La nuit, Ginette dort comme elle peut dans les coyas, des niches de bois aménagées sur trois niveaux où les femmes dorment à six, tête-bêche. Le jour elle casse des pierres, un véritable travail de bagnard. Personne n'a le droit de se parler et les coups pleuvent très souvent. Elle est témoin de nombreuses morts. La nourriture fait défaut. En octobre 1944 elle est transférée à Bergen-Belsen où elle ne travaille pas, puis elle doit aller travailler en usine de pièces d'aviation à côté de Leipzig. Enfin, elle n'est plus battue et un tant soit peu respectée puisque son travail est utile du fait du manque de bras sur place. Le contremaitre autorise les pauses et elle se nourrit d'épluchures.

La fin du calvaire

En avril 1945, devant l'approche des armées alliées, elle est transférée pendant huit jours, dans un "train de la mort", jusqu'au camp de Theresienstadt en Tchécoslovaquie, où elle contracte le typhus. Quand elle rentre enfin à Paris en juin 1945, elle a 20 ans et pèse 26 kg.

Elle apprend que sa mère et ses soeurs sont vivantes et qu'elles sont retournées vivre dans leur appartement de famille. Elle s'y rend et tombe dans les bras de sa mère à qui elle doit annoncer que son mari et son fils sont décédés. Ginette Kolinka a ensuite repris le travail, sur les marchés, en essayant d'oublier ces sombres années. Elle se marie et a un fils (le batteur du groupe Téléphone Richard Kolinka) à qui elle ne parle jamais de son expérience traumatisante. Elle cache constamment son tatouage. Ce n'est que bien plus tard qu'elle décide qu'il est temps de se raconter. Pour ne pas oublier.

Sa dernière phrase pour les élèves ? "Vous êtes à présent des passeurs de mémoire. C'est votre responsabilité". En effet, ce sont ces jeunes, que Ginette Kolinka alerte partout en France, qui passeront le message, lorsque plus aucun ancien déporté ne sera là pour le faire. Elle termine avec cette réflexion qui résonne encore dans les esprits des personnes présentes :"Acceptons les gens comme ils sont, musulmans, juifs, bouddhistes, nous ne sommes que des êtres humains avec des qualités et des défauts, acceptons- nous. Nous avons dit 'plus jamais ça', il faut que cela soit vraiment le cas." Lors d'une autre intervention de ce genre elle avait tenu à conclure comme ceci : "Méfiez-vous de la haine, et combattez la dès qu'elle pointe, sous quelque forme que ce soit, car c'est la haine qui conduit tout droit à Birkenau".

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